Une Opportunité d'être Meilleur - Chapitre 8 Page 3





Au fil des années, beaucoup de personnes impliquées dans la pièce ou le festival moururent ou s'éloignèrent de Morganville. Personne de Fèves ne vint à Morganville. Fèves recevait parfois un visiteur de sa sœur. Il s'agissait souvent de jeunes hommes de Morganville, militaires stationnés en Europe faisant partie des forces armées américaines opposées au contingent soviétique derrière le « Rideau de Fer ».

Il y eut une exception en 1971. Dan et Lily Roenigk, leur fils Ivan avec son épouse et leurs trois fils, passèrent à Fèves alors qu'ils se rendaient en Europe pour visiter la maison ancestrale de la famille. Henri et Mathilde furent leurs hôtes et leur firent faire une visite personnelle du village.

Une partie de la famille de Dan Roenigk a visité Fèves en 1971. Cette photo a été prise chez les Torlotting. A l'arrière : le petit-fils Richard, le fils Ivan, le petit-fils Dale, la belle-fille Wilma et l'épouse Lily; devant : le petit-fils Donald tenu par Henri Torlotting

Les années après la guerre n'épargnèrent pas Carson. Les petites villes peuvent être réconfortantes pour quelqu'un qui arrive à s'intégrer, mais difficiles pour une personne qui n'y arrive pas. Certains habitants la regardaient avec admiration, tandis que d'autres la considéraient comme quelqu'un qui n'avait pas sa place dans le village.

Lorsque l'église méthodiste locale fut restaurée, un groupe lui demanda conseil pour les couleurs. Ce même groupe fut obligé de prétendre avoir fait le choix lui-même, sachant que beaucoup de gens du village auraient rejeté le choix uniquement parce que Carson y était mêlée.

Dans une lettre adressée à sa fille en août 1948, Carson écrivait : « Je veux aller à New York. Il y a plusieurs raisons ... Je pourrais partir cet automne pour aller y travailler ».

Mais après avoir rendu visite dans l'Est à des amis du temps de ses années de collège, elle déclara : « Oh, mais ma chérie, je ne veux plus jamais vivre ici. Je veux bien venir ici avec un peu d'argent pour faire du shopping et voir les spectacles. ... [mais] je veux vivre là où je peux aller en ville à pied ».

Pendant son absence, le New York dont Carson se souvenait avait disparu. Les grandes villes américaines, jadis peuplées de personnes ayant grandi dans des fermes ou dans de petites communautés, étaient de plus en plus peuplées par des personnes ayant grandi en ville. Le développement de la télévision rendait la survie des magazines de plus en plus difficile. Les journaux se concentraient davantage sur les événements internationaux. Carson avait donc du mal à vendre ses histoires à propos d'une époque qui était révolue. Que son intérêt soit davantage tourné vers la poésie, un domaine encore moins rentable, n'aida pas.


Velma Carson en 1979

En 1978, à 82 ans, après avoir lutté contre divers problèmes de santé, Carson s'installa à Ithaca, dans l'état de New York, avec sa fille Cynthia et son gendre Gould Colman. La maison des Carson fut vendue et transportée hors de Morganville.

La préservation de l'histoire des villes sœurs n'avait jamais été une grande priorité pour Carson, bien que Gould ait dit une fois qu'il pensait que c'était sa plus grande réussite.

Mais la mort de Roenigk en 1981 déclencherait des événements qui contribueraient tant à préserver l'histoire que de jeter à nouveau la lumière sur le conte alors flétri, quoique brièvement.

Mary Cathy Haney a joué un rôle clé dans cette renaissance. Quand elle était jeune, Haney et ses parents, Joe et Josephine, vivaient à Broughton, une petite communauté rurale située à quelques kilomètres au sud-est de Clay Center. Ce village jouerait plus tard un rôle important dans ce qui allait arriver.


Cathy Haney

En 2015, Haney expliqua pourquoi elle et ses parents s'intéressaient à la pièce et comment ils avaient rencontré Carson.

J'avais huit ans le soir où nous avons assisté au spectacle à Morganville. Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait, mais j'étais impressionnée - suffisamment impressionnée pour m'en souvenir et poser des questions au cours des années. Mes parents parlaient souvent du festival et de tout le travail qui y avait été consacré. Mes parents étaient tous deux des fans de Longfellow. Mon père pouvait citer des pages entières de la « Song of Hiawatha » - Chanson de Hiawatha. Comme la narration pour le spectacle avait la même rythmique, cela l'intéressait, au point qu'il pouvait vous dire comment le script suivait la chanson originale.

Au début des années 1960, une amitié entre Joe, Josephine et Velma s'est développée. Après tout, nous faisions partie de ces parias, non seulement dans le comté de Clay, mais dans l'état du Kansas. Nous étions Démocrates !

Ils aimaient discuter de politique, de littérature et surtout de poésie. J'y allais pour avoir quelque chose à faire. Au fil des années, je connaissais mieux Velma. J'ai posé des questions sur le spectacle et obtenu quelques réponses, principalement sur la recherche des costumes et sur le succès de la soirée. Quand j'ai commencé à poser des questions, c'était déjà plus de vingt ans après l'événement, et les gens n'étaient tout simplement plus intéressés.

Un jour, j'étais assise sur le lit dans la chambre de Velma ... j'ai baissé les yeux et vu par terre un tas de papiers intitulés « Message to Fèves ». Je les ai ramassés et j'ai demandé, « Est-ce que c'est ce que je pense ? » « Oui, et tu le remets en place ! » a-t-elle répondu. J'ai plié les papiers et les ai collés dans la poche de ma veste.

En 1981, l'intérêt de Haney pour l'histoire locale l'amena à devenir la conservatrice du musée de la Clay County Historical Society. Elle s'intéressait depuis longtemps au festival et aux relations entre les villes sœurs, mais l'intérêt local avait considérablement décliné.

Elle a décrit ce qui s'est passé ensuite.

Puis un autre habitant de Morganville, Dan Roenigk, est décédé. ... Son fils et sa fille sont revenus vider la maison familiale. Ils s'intéressaient à l'histoire et ont commencé à apporter des choses au musée. Un jour, Ivan, le fils de Dan, entra avec une boîte et commença à la vider. Il sortit un album et dit : « Je ne pense pas que ça puisse vous intéresser ».

Je suis presque tombée sur la table pour attraper le livre. Il portait le titre « Message to Fèves ». À l'intérieur de l'album, il y avait des photos du spectacle, des coupures de journaux et des lettres venant de Fèves. C'était un trésor.


Haney avec l'album de Roenigk

Haney a eu l'occasion de raconter l'histoire quelques années plus tard. Dans un article paru dans le Salina Journal le 6 juillet 1996, elle a déclaré : « L'histoire de Morganville et de Fèves était presque oubliée quand un groupe d'écoliers a visité le musée du comté de Clay en 1990 ».

La visite était terminée et les enfants attendaient pour retourner à l'école. Haney entendit par hasard l'un des enfants commenter : « Il ne s'est jamais rien passé par ici » - il voulait dire rien qui ait vraiment de l'importance en dehors des limites du comté de Clay. C'est ce qu'elle a décidé à raconter l'histoire.

Mais elle voulait une occasion de raconter de nouveau l'histoire à un public plus large. Cette opportunité se présenta deux ans plus tard, en 1992. Comme elle l'a décrit en 2015 :

Le temps passait. Katie Armitage, qui effectuait des recherches pour le Kansas Humanities Council, est passée au ... musée en quête d'informations. Après avoir discuté pendant un moment, elle a voulu savoir s'il y avait quelque chose dans la communauté qui pourrait correspondre à un programme de sciences humaines. J'ai réfléchi un moment et j'ai commencé à parler de Fèves. Quand je me suis finalement tue, elle a dit que je devrais demander une subvention.

La proposition fut soumise la même année sous le titre « Au-delà de nos frontières : Morganville, KS, Fèves, France et le Marshall Plan de l'UNESCO 1948-1952 ».

On dit à Haney qu'il serait sage d'impliquer des personnes qui seraient considérées comme des autorités en la matière. Elle sollicita donc l'aide du professeur John Daly du département d'histoire de la Kansas State University et du professeur John Sweets du département d'histoire de la Kansas University.


Les professeurs Sweets (à gauche) et Daly

Le vrai travail commença quand elle apprit que sa proposition avait été approuvée.

Haney envisageait un diaporama commenté basé sur les matériaux de l'album. Elle ajouterait n'importe quel nouveau matériau qu'elle trouverait. Elle utilisa son expérience avec des écoliers en 1990 pour commencer l'histoire.

Une des sources serait les gens à Morganville. Un article du Salina Journal du 2 juin 1993 annonçait le programme. Haney espérait que cela apporterait des objets supplémentaires du festival.

MORGANVILLE - Une réunion est prévue jeudi pour discuter d'un projet d'après la seconde guerre mondiale entre cette ville d'environ 200 habitants du comté de Clay et Fèves, en France.

Le comté de Clay a reçu une subvention du Kansas Humanities Council pour effectuer des recherches sur le projet qui reliait les deux villes via Operation Democracy Inc., une initiative basée sur le concept du plan Marshall consistant à envoyer du pain au lieu de balles à l'Europe. ...

Les photos prises la nuit du festival seront présentées lors de la réunion de jeudi à 19h30 à l'hôtel de ville de Morganville. Toute personne possédant des souvenirs du projet Morganville-Fèves est invitée à les apporter à la réunion. La subvention servira à faire un diaporama sur le projet.

Lafe Todd était l'une des premières personnes que Haney voulut contacter. Ce ne fut pas difficile de le trouver, car il vivait toujours à Clinton, dans l'état de New York, où il avait pris sa retraite du Hamilton College 12 ans plus tôt.

Todd répondit à sa lettre par plusieurs lettres. Sa lettre du 9 juillet 1993 donnait un aperçu supplémentaire de Operation Democracy et de son affection pour Morganville et son acteur principal, Velma Carson.

Il commença par demander à Haney qu'elle lui, « pardonne ma dactylographie de 81 ans et de ma machine à écrire portable de 30 ans », ajoutant : « Je suis une personne analphabète en informatique ».

Todd an 1993

Au risque de paraître un peu arrogant, je crains d'avoir plus ou moins inventé la notion de « Sister City » en 1946 - bien que ce soit déja arrivé brièvement pendant la guerre lorsque deux villes américaines travaillant avec l'organisation de Natalie Payne « Bundles for Britain », ont « adopté » plusieurs villes anglaises pour les aider pendant les bombardements. [Ils] ont envoyé de la nourriture, des bas de nylon, des médicaments, etc. Quand j'ai quitté l'armée, j'ai occupé le poste de directeur de la publicité pour la campagne nationale de l'American Aide to France, Inc. - AAtF - ... Le président honoraire était le Général Eisenhower ...

Afin de lancer un effort « sur le terrain », j'ai suggéré à mon ancienne ville d'origine, Dunkirk, N. Y., d'organiser un geste de solidarité et de bonne volonté en direction de la ville de Dunkerque, en France. La ville devint folle et obtint une publicité mondiale ... La radio ABC - American Broadcasting Company - a diffusé une émission de radio bidirectionnelle entre les deux villes, animée par Charles Boyer et l'ambassadeur de France, Henri Bonnet. Le réseau de radio Voice of America l'a diffusée dans le monde entier et la presse française lui a donné beaucoup d'écho ... Quoi qu'il en soit, une soixantaine de villes américaines ont presque immédiatement emboîté le pas. ... Ma réaction a été : « Que diable Todd a-t-il fait ? » Nous étions submergés par des maires français qui voulaient que leurs villes soient adoptées.

Après la campagne d'AAtF s'est terminée ... J'ai été invité par Isabella King (ancienne membre du Congrès de l'Arizona et la meilleure amie et demoiselle d'honneur d'Eleanor Roosevelt) à faire la promotion de ... « Operation Democracy, Inc ». Nous devions « raconter l'histoire de l'Amérique à l'étranger », « gagner des amis et influencer les gens », ainsi que promouvoir « One World » de Wendell Willkie ! De beaux jours d'espoir et de promesses pour l'idée de Henry Luce sur le « American Century ! ». L'un des meilleurs de tous était la chère petite Morganville, KS. ... et bien sûr, Velma Carson. Sacrée nana !

Je suis passé de « O.D. » à la US Information Agency en 1950 en tant que « chef » de l'Office of Private Enterprise Cooperation, l'unité de la ville de New York fournissant des reportages du « Heartland » d'Amérique pour la radio USIA - United States Information Agency - Agence d'information des États-Unis - des publications et des divisions cinématographiques. etc. L'une de mes principales préoccupations a continué d'être « les villes jumelles », l'accent étant mis sur « faire connaissance avec vous » et vaincre le rideau de fer et Joseph Staline. Je n'avais aucune idée de combien de temps cela prendrait !

Haney a demandé à Todd si Morganville était la plus petite ville américaine à adopter une sœur européenne. Todd a dit le croire, se rappelant que Chester, N. Y., avec une population d'environ 1.200 habitants, a été la deuxième la plus proche.

Il ajouta que Chester avait adopté Kumrovec en Croatie. C'était la ville natale du Maréchal Tito, qui était le chef de la Yougoslavie, une confédération d'états incluant la Croatie. Todd a déclaré que Chester « était submergée par les lettres d'écoliers, pleines de propagande communiste louant leurs glorieux dirigeants ».

Haney s'est également adressée à Fèves et a échangé des lettres avec Patrick Hug, qui était alors maire.

Patrick Hug, ancien maire de Fèves