Une Opportunité d'être Meilleur - Chapitre 7 Page 2




On se doute bien que les personnes présentes au programme de cette journée de juin à Fèves étaient probablement vêtues de leurs habits du dimanche, et il est évident en regardant les photos que les conditions étaient bien meilleures que l'année précédente. Les enfants semblent être heureux et en bonne santé.

Mais alors que la crise était passée, les temps demeuraient difficiles. Il y avait le chagrin de la perte de proches qui étaient morts au combat. La nourriture et les matériaux n'étaient souvent pas disponibles. De nombreuses maisons étaient toujours en mauvais état. Quel que soit leur âge, tous devaient faire leur part pour survivre.

Les difficultés auxquelles étaient encore confrontés certains membres de Fèves sont clairement visibles dans une lettre adressée par un ancien résident de Morganville résidant alors à Emporia, au Kansas. Alors que la plupart des frères et sœurs du Dr Daniel Schaffner avaient déménagé avec leurs parents à Morganville de nombreuses années auparavant, son frère John est resté dans l'Ohio où il était professeur à l'Ohio State University. Le fils de John - également appelé John - était au service pendant la seconde guerre mondiale. À Paris en 1945, il épouse une française, Susan Landon.

Lorsque le comité Morganville a décidé d'envoyer des colis de semences de CARE à Fèves, le Dr Schaffner en a envoyé un et Susan a écrit une lettre.


John et Susan (Landon) Schaffner

La lettre qu'elle a reçue en réponse d'Alfred Roget donne un aperçu des conditions et de leur vie dans le village français. La lettre a été publiée dans le Morganville Tribune le 30 juin 1949.

Nous ne savons pas comment exprimer nos remerciements pour votre grande générosité dont nous avons si bien bénéficié.

Le colis est arrivé juste à temps car nous n'avions pas encore été chez les négociants en grains pour acheter nos graines pour le jardin, ce qui a permis d'économiser beaucoup d'argent. Nous avons immédiatement semé la plupart des graines et comme le temps était au beau fixe, le jardin est déjà bien développé. Chers M. et Mme Schaffner, merci mille fois.

Nous voulons vous donner une idée de notre situation : nous sommes deux personnes âgées, vivant dans une cabane en bois, où en été, on suffoque et en hiver on gèle. Moi, le mari, j'ai 78 ans et ma femme aura bientôt 80 ans. Nous sommes mariés depuis 53 ans et avons eu trois enfants, deux garçons et une fille. Un des garçons est mort dans un camp de concentration allemand, tout comme le mari de notre fille. Elle est maintenant veuve avec deux petites filles à élever.

Le 4 septembre 1944 à onze heures du matin, la crosse d'un fusil a frappé les volets et à midi nous avons dû être évacués, nous ne pouvions pas prendre le cheval ou le chariot. Nous sommes partis avec les vêtements que nous portions. Nous avons eu de la chance. Nous sommes restés à Metz pendant trois mois de misère et de faim.

Le 19 novembre, la 3e armée de Patton est entrée dans la ville pour nous libérer de la bande d'Hitler. Nous étions aux portes de la ville quand les premiers garçons américains sont entrés. Chère Mme Schaffner, quelle joie !

Lorsque nous sommes revenus dans notre village natal où nous avions une belle petite maison, fruit de notre travail et de nos économies, il ne restait plus une pierre de notre maison. Chère Madame, nous avons vécu des moments très tristes. Comme dommages de guerre, nous avons reçu 58.500 francs, mais que pouvions-nous acheter avec cette somme, vu le prix des choses ? Nous avons donc acheté une cuisinière, un lit, une armoire à linge, une armoire de cuisine, trois chaises, quelques draps, deux taies d'oreiller, un costume pour moi et l'argent est parti.

J'ai une retraite de sécurité sociale de 5.800 francs
[environ 19 dollars a ajouté Mme Schaffner - environ 220 euros en 2015], mais pour deux personnes, il faut faire attention. Nous travaillons encore dans les champs plus que ce que nos forces ne nous le permettent.

Cher M. et Mme Schaffner, nous souhaitons vous remercier à nouveau mille fois pour vos dons personnels et les dons de généreux habitants de Morganville qui ont été octroyés aux habitants de Fèves.

Mes deux petites-filles, enfants de ma fille veuve, ont reçu de jolis vêtements qui leur vont comme des vêtements sur mesure.

Puisse Dieu garder votre oncle généreux en bonne santé, comme vous avez dit qu'il était malade, afin qu'il puisse apporter joie et bonheur aux Français défavorisés.

Chères familles, veuillez accepter nos remerciements et nos voeux d'amitié sincère. Ma femme, ma fille et mes petites-filles se joignent à moi dans tous ces souhaits.

Confiants que leurs efforts étaient utiles, les habitants de Morganville ont poursuivi leur mission. Le 16 juin, Roenigk a envoyé un chèque au « Paris Herald » - édition internationale du Herald Tribune - pour obtenir un abonnement pour Torlotting.

Un coup d'œil au bilan du comité Morganville-Fèves du 4 août 1949 révèle qu'après déduction des dépenses associées au festival, un peu plus de 1.100 euros - environ 11.000 euros en 2015 - avaient été collectés. Les biens achetés et les frais d'expédition se sont élevés à près de 900 euros, laissant un peu plus de 220 euros pour continuer.

Lettre d'abonnement au journal pour Torlotting.
La machine à écrire avait une touche « y » défectueuse.

Mais la mission était en train de changer. Le Marshall Plan, associé aux programmes du gouvernement français, atténuait les problèmes les plus difficiles auxquels les citoyens de Fèves étaient confrontés. Dans ce contexte, les habitants du village voulaient montrer leur appréciation de manière tangible, pas aussi éphémère qu'une émission de radio. Une indication de ce qu'ils avaient en tête figure dans une lettre du 12 septembre 1949 envoyée de Paris par Utley à Roenigk. Les Torlotting y étaient en visite, de même que les Bazin. La majeure partie de la lettre était d'Henri, traduite en anglais par Yvonne Bazin. Le paragraphe suivant était proche de la fin de la lettre.

Il est peut-être prématuré de le mentionner, mais j'ai l'idée que cela plairait aux gens de Morganville d'avoir un souvenir de leurs amis à Fèves et lorsque M. et Mme Utley viendront nous rendre visite vers la fin du mois de septembre (comme nous l'espérons), je compte leur soumettre l'idée et vous donner plus de détails par la suite. Nous recevons constamment des cadeaux et, bien que nous ne puissions pas faire la même chose, nous aimerions que vous ayez quelque chose qui vous rappellera notre profonde gratitude et notre belle amitié.

La lettre fait également référence à une importante cargaison de sucre, de cacao et de riz de Morganville, huit colis au total, qui était arrivée dans le village voisin de Maizières-les-Metz au moment même où les Torlotting étaient partis pour Paris. Comme Henri était membre du comité de Fèves, la distribution avait été repoussée jusqu'à son retour.

Mais ce retour a été repoussé plus que prévu quand on a appris que August Kolling Jr, originaire de Morganville, arriverait à Paris le 15 septembre. Kolling était en voyage parrainé par une organisation agricole américaine. Il faisait partie des habitants de Morganville qui s'étaient montrés sceptiques quant aux efforts de sa ville natale pour aider Fèves. Il estimait qu'il y avait déjà assez de personnes à aider sur place.

Billie a ajouté quelques commentaires manuscrits à la fin de la lettre. Elle a mentionné qu'ils appréciaient vraiment la visite des Torlotting et que leurs invités semblaient également passer un bon moment. Billie a déclaré qu'ils avaient « appris aux Torlotting à jouer au jeu Pachisi et il [Henri] a insisté sur le fait qu'il dirait : ‹ How do you do, M. Kolling › quand il rencontrerait August, au lieu de l'habituel ‹ Bonjour › français ».


Une photo de 2015 de la maison des Utleys en 1949
au 34 rue Boris Vildé, Fontenay-aux-Roses, France