Todd prévoyait également un voyage. Début mai, il accompagnerait à Wichita (Kansas) le maire adjoint d'Orléans (France) Jean
Falaize et sa fille. Wichita était en train d'adopter la ville française.
Il y a de nombreuses raisons de penser que l'expérience de Morganville a influencé la décision de Wichita. Certainement,
Morganville avait eu une publicité considérable avec son expérience et Peter Wyden, qui était alors reporter pour le Wichita
Eagle, avait visité le petit village situé à 250 km au nord sur la Republican River.
Ces programmes de ville à ville retenaient beaucoup l'attention du pays. Le communiqué de presse du bureau de Todd daté du 22
avril 1949 sur le jumelage Wichita-Orléans a généré l'article suivant dans le journal de New Castle, en Pennsylvanie, le même jour.
NEW YORK - Operation Democracy, bureau central pour les programmes d'affiliation des villes, a annoncé aujourd'hui que Wichita, Kan. et Orléans, en France, échangeront leurs maires pour une semaine à partir du 7 mai.
L'annonce a déclaré que le maire William T. Salome de Wichita et le maire adjoint Jean Falaize d'Orléans
quitteraient leur domicile par avion le 5 mai, pour arriver à temps dans leurs « villes sœurs » pour des cérémonies
simultanées le 7 mai. Cet échange a été qualifié de programme le plus ambitieux jamais entrepris. Wichita célèbrera le
traditionnel Festival d'Orléans « Joan of Arc » - Jeanne d'Arc - les 7 et 8 mai, avec la fille de 17 ans de M. Falaize, Marie-Dominique,
honorée en tant que « Maid of Orleans » - La Pucelle d'Orléans. Le programme comprendra une réunion du 137e régiment d'infanterie, qui a
libéré Orléans lors de la seconde guerre mondiale.
Les maires Falaize (à gauche) et Salome
Les chemins des deux maires se sont croisés à New York où ils ont été interviewés pour « Voice of America ». Cette émission a été diffusée en France. Ensuite, Falaize, sa fille Marie Dominique, Todd et sa femme Clare se sont rendus en train à Wichita. Après les festivités des 7 et 8 mai, Falaize et sa fille se sont rendus à Denver avec un groupe de l'UNESCO, puis à la New Orleans, pour remercier personnellement la ville qui avait envoyé des secours à Orléans immédiatement après la guerre.
Après avoir quitté Wichita, la plus grande ville du Kansas à adopter une ville étrangère, Todd a commencé une tournée dans
d'autres villes du Kansas faisant déjà équipe avec une autre en Europe ou envisageant un tel arrangement. Les escales
comprenaient Salina, Abilene, Medicine Lodge, Kinsley, Garden City, Neosho, McPherson, Russell, El Dorado et Hutchinson.
Une de ces escales fut un arrêt chez le plus petit adoptant - Morganville - où se tint une réception. Le programme ce jeudi
12 mai au soir s'est déroulé au Stade. Cela commença par l'interprétation des hymnes nationaux, tout comme dans la pièce de théâtre.
Mais contrairement à ce soir d'août, « la Marseillaise » fut chantée en anglais par Ralph Lamar.
La santé d'Emette Davis avait décliné et il avait donc quitté le village pour Kansas City où son fils était médecin. Dan
Roenigk était maintenant à la fois trésorier du comité Morganville-Fèves et maire du village. Roenigk a parlé brièvement
puis a laissé la parole à Carson, qui a présenté les autres.
Dan Roenigk, à gauche, et Charles Todd
Todd félicita Morganville pour, comme le rapporta la Tribune, « aider à changer le sentiment de l'Europe vis-à-vis de la
démocratie américaine » et ajouta que les programmes d'adoption offraient « une solution pour la paix que les
gouvernements, les armées, la politique et les diplomates ont été incapables de réaliser ».
Ségolène de Wendel était une invitée spéciale ce soir-là. Elle s'était envolée pour Kansas City, puis s'était rendue à
Morganville pour représenter les habitants de Fèves. C'était sa famille qui avait développé l'industrie du fer en Lorraine des
siècles auparavant. Elle avait été longtemps une avocate pour les Lorrains et elle représentait également la Croix-Rouge
française. Ses efforts pendant la guerre avaient donné lieu a son arrestation, son incarcération et sa torture.
À propos de sa visite, la Tribune observa :
Mlle de Wendel a l'habituel charme français et parle avec émotion des épreuves d'un pays occupé. Elle a expliqué que si les habitants de Fèves ont tardé à accepter notre correspondance, c'est parce qu'ils sont encore paralysés par les difficultés qu'ils ont traversées. La plupart de leurs enfants sont chétifs à cause de la malnutrition. Pratiquement tous les foyers ont été endeuillés pendant la guerre et tous ont subi des pertes matérielles. Beaucoup, y compris Mlle de Wendel elle-même, passèrent des périodes éprouvantes dans des camps de concentration, s'attendant à chaque heure à être tués. Beaucoup l'ont été. La famille de Mlle de Wendel a reçu le général Patton durant les combats. Elle a parlé de lui avec gratitude.
Elle était très intéressée de parler avec Lyle Bloom, qui avait si bien chanté le « Star Spangled Banner », parce que Lyle avait été à Fèves et dans d'autres parties du district de Metz pendant la guerre. Lyle était heureux de pouvoir s'excuser de certains des dommages causés par nos propres soldats pendant la guerre. Lyle affirme que nous pouvons difficilement leur rembourser le lait et les poulets que nos propres garçons affamés ont volés.
Ségolène de Wendel à Morganville
Delbert « Lyle » Bloom
Le 10 mai, alors que Morganville reflétait encore de la récente visite des Todds et de de Wendel, Torlotting écrivit une autre lettre à Roenigk pour faire le point sur la situation à Fèves.
Cher ami,
Tout d'abord, je vous remercie pour l'adresse [des Utley] à Paris. Je ferai ce qui est nécessaire.
Merci de tout cœur. Merci pour mes élèves. Merci pour les habitants de Fèves, qui sont tous mes amis, sans exception, et pour
qui, depuis la Libération, je me suis donné de la peine, sans relâche, pour améliorer leurs conditions et hâter la reconstruction.
En France, comme partout ailleurs, seuls ceux qui ont de la résistance et de l'endurance peuvent arriver à des résultats. J'ai
moi-même rempli tous les documents pour les dommages. (Plus de 60 dossiers.) Cela a engendré des dépenses. Vous comprenez bien
qu'il y a toujours des gens pour profiter de telles circonstances. Je ne vais pas entrer dans ces détails, pour améliorer ma
réputation. Je ne fais que mon devoir d'honnête homme espérant être récompensé plus tard. Je veux seulement que vous compreniez
pourquoi je ne réponds pas tout de suite à votre lettre. Veuillez m'en excuser.
Le nombre des choses que vous nous avez envoyées correspond exactement à celles que nous avons reçues. Les paquets de semences
sont arrivés. Les cinq paquets ont été distribués et semés. Mercredi, la nourriture est arrivée et vendredi, ma femme et moi
avons organisé la distribution entre 14 h 30 et 18 h 30 et à 19 heures, en présence du maire, du curé et de la police. Chacun a
reçu 300 grammes de sucre et 300 grammes de conserves. Nous avons donné à chaque famille une boîte de pâtes, une boîte de cacao
et un bon morceau de fromage. Chaque enfant a reçu une boîte de cacao supplémentaire. Je ne sais pas si vous avez calculé la
valeur, mais cela représente de 800 à 1000 francs par famille. Imaginez à quel point les gens sont contents. Les vêtements ont
été distribués. ... Le curé a distribué la layette, mais le maire en a gardé un peu pour les naissances à venir. Nous avons noté
tout ce que chacun a reçu pour savoir exactement ce que chacun a reçu.
Et voici une note d'allégresse. Pensez juste que le colis pour l'école est arrivé (crayons, stylos, etc.). Samedi après-midi fut
un jour de joie. Des crayons avec des gommes. Des crayons de couleur. Le maire était si ému en voyant la joie des enfants qu'il
ne pouvait pas dire un mot.
... Je dois mentionner cet échange : M. Todd de American Aid m'a proposé de faire un voyage à Morganville. Cher M. Todd.
Quel merveilleux souvenir il a laissé à Fèves. Courtois et compréhensif, au grand cœur. Il a su prendre le cœur de tous ceux
qui l'ont approché. Bien que, cher ami, les Lorrains soient connus pour être calmes et réservés, ce projet de voyage est
tentant. Mais il ignore le fait qu'un instituteur français ne peut pas se permettre un tel voyage. Il n'en a pas les moyens.
On me demande de solliciter du sucre pour préparer des conserves. Le sucre est rare. Du riz, si vous en avez. Les adultes n'ont
pas vu de riz depuis 1940. Pour les bébés, nous avons besoin de céréales. Vous savez que Fèves compte 300 habitants, donc vous
savez combien vous pourriez envoyer. Nous devons aller au Luxembourg où nous pouvons obtenir du café. Je vous demande, bien sûr,
de la nourriture. Votre envoi de vêtements a aidé pour les besoins immédiats. Nous attendons le payement des dommages de guerre
qui permettront aux gens d'acheter du linge de maison.
Cher ami, je vous envoie notre chère expression d'amitié. Salutations chaleureuses à tous nos amis à Morganville. ... Nous avons
reçu l'émission « Hommage à Fèves » sur Radio Nancy. C'était magnifique. Tout Fèves l'a écoutée.