Une Opportunité d'être Meilleur - Chapitre 6 Page 6




C'est le 22 septembre que la première cargaison de vêtements, de couvertures et de chaussures quitta le dépôt ferroviaire de Rock Island à Morganville pour Fèves. Dès le lendemain, le journal The Tribune demanda plus de dons en déclarant : « Cela allégerait un peu leur travail si les donateurs contrôlaient si les vêtements sont propres et réparés ».

Vers la fin du mois, le comité accepté d'acheter du lait en poudre auprès de la June Dairy Products Company de New York.

Todd avait suggéré qu'il serait normal que les choses bougent lentement du côté de Fèves, mais elles ne bougeaient pas trop vite non plus du côté américain.


23 septembre 1948, article de Morganville Tribune

Contenu de l'article : Vêtements pour Fèves - Le premier colis de vêtements pour Fèves, France, a été expédié hier par l'UNESCO. Le comité a beaucoup de travail à faire pour que ce premier colis soit prêt à être envoyé. Cela allégerait un peu leur travail si les donateurs contrôlaient si les vêtements sont propres et réparés. Les chaussures aussi doivent être propres et si elles ne nécessitent pas trop de réparations, elles seront réparées.


Le 21 octobre, le jour où Todd envoya à Carson la lettre concernant les bonbons de Christenson, il en envoya une autre beaucoup plus formelle. Une partie de cette lettre révèle la haute estime qu'il avait développée pour elle.

Si vous avez reçu notre dernier « NEWSLETTER » - bulletin - je suis sûr que vous avez remarqué la croissance du programme de ville à ville. Il y a maintenant environ cent trente communautés américaines qui y participent activement, et il y a de bonnes chances que ce nombre augmente considérablement d'ici peu et au courant de l'année prochaine.

Nous nous rendons compte que le succès de ce programme est dû en grande partie à votre magnifique initiative et aux efforts et à la coopération de votre comité.

Nous aimerions beaucoup inclure votre nom dans notre « National Advisory Committee » - comité consultatif national. Il n'y aurait aucune obligation de votre part, sauf que nous pourrions de temps à autre faire appel à vous pour des conseils et des suggestions en fonction de l'expérience que vous avez acquise dans votre affiliation avec une ville d'outre-Atlantique. En outre, nous estimons que ces preuves concrètes d'un intérêt généralisé et d'un objectif commun nous renforcent dans nos nombreuses relations avec le « Department of State » - Département d'État, les agences de secours et d'autres avec qui nous sommes en contact permanent.

Nous autorisez-vous à utiliser votre nom dans notre National Advisory Committee ?

Carson a accepté la demande de Todd.

À Morganville, les activités à l'hôtel de ville se sont poursuivies tout au long de l'automne, avec l'intention d'envoyer un colis de vêtements supplémentaire. Mais les pensées se tournèrent également vers un autre type de cargaison. Noël approchait, il a donc été décidé de demander à des voisins de faire don de petites choses légeres, donc peu coûteuses à expédier et pouvant faire office de cadeaux aux enfants de Fèves.

Des bidons vides, que les agriculteurs utilisaient normalement pour transporter le lait, ont été placés dans les entreprises de Morganville afin de collecter des dons. L'opération a été décrite dans un petit article dans la Tribune du 14 octobre. Malheureusement, ce ne fut pas une réussite. La somme totale perçue n'a ajouté que 20 $ à la tésorerie. Le 14 décembre, le comité a envoyé les petits jouets et les objets recueillis comme cadeaux de Noël. C'était un regroupement assez éclectique d'articles comprenant : des livres à colorier, un puzzle, une ardoise magique, 2 balles en caoutchouc, une écharpe, un kaléidoscope, un bonnet, des ballons, des mitaines, des bas, une ceinture, des punaises, un chat en peluche, un lapin en peluche, des poupées en plastique, 7 barres de savon Camay, des gants de travail, un sifflet et des bracelets.
14 octobre 1948 article de la Tribune

Contenu de l'article : Plans de l'UNESCO pour Noël - Des paniers et des bidons de lait vides seront placés dans les magasins pour recevoir des dons en argent et des babioles pour faire des cadeaux de Noël aux enfants de Fèves, en France. Tout le monde est invité à faire un don en espèces et des cadeaux légers et compacts afin d'éviter des frais de transport excessifs. L'argent doit être gardé pour acheter de la nourriture. Mettons-nous au travail et offrons-leur un heureux Noël, peut-être le premier qu'ils aient.

Dans l'espoir que ceux-ci voyageraient plus rapidement, ils ont envoyé le colis par la poste à un capitaine de la caserne Feraudy de Metz.

Alors que de plus en plus de matériel s'accumulait au Kansas, des retards supplémentaires eurent lieu à New York. AAtF réemballerait les articles pour en charger le plus possible dans les navires. Ensuite, ils attendaient un navire qui convienne. La première cargaison de Morganville se trouvait toujours à New York lorsque, le 10 novembre, les dockers se mirent en grève, contrariés par des problèmes avec la rémunération des heures supplémentaires.

Plus tôt en novembre, Todd avait quitté New York pour aller en Europe et se rendre dans certaines des villes qu'Operation Democracy avait associées à des sœurs américaines. Ce qui suit est la partie de son rapport concernant Morganville et Fèves :

Par une fin d'après-midi froid début décembre, accompagné de deux responsables d'Entr'Aide Française, j'ai emprunté la route escarpée et pierreuse menant à Fèves à travers les vergers de pruniers. Le long de l'unique rue sinueuse, les maisons étaient sombres et sans vie, certaines montrant encore les effets des tirs de l'artillerie américaine. L'école, à notre approche, était cependant illuminée et une délégation attendait sur les marches pour nous accueillir. Une fois à l'intérieur, j'ai découvert pourquoi le reste de la ville était désert. Toute la population de Fèves était à l'école. Morganville n'avait pas été oublié.

La bâtiment de l'école à Fèves n'était en réalité qu'une partie d'un bâtiment qui servait également de maison pour les Torlotting et de bureau du maire. À l'extrême droite se trouve le maire Auguste Berne. Le maître d'école Henri Torlotting est à la droite des écoliers. Le jeune garçon à l'extrême droite au premier rang est le neveu d'Henri, Gérard Torlotting. Sa future femme, Solange Parisot, est à l'extrême gauche au premier rang. Le 29 décembre 2013, soit 64 ans après la prise de cette photo, Gérard et Solange, tous deux bénéficiaires de l'aide, ont été les premières personnes de Fèves à visiter Morganville.

Toute la presse française était là ... ils ont fait des discours. J'ai fait un discours dans mon affreux français. Quand les enfants ont chanté « Sur le Pont », j'ai pleuré comme un bébé. J'ai porté des toasts à Morganville, de la mirabelle verre après verre - avec le maire, le padre - prêtre, etc. J'ai vu les vaches, me suis assis dans la cathédrale [sic - eglise] du XVIe siècle, j'ai mangé dans une cuisine lorraine, donné des bonbons à tous les enfants de Fèves, j'ai reçu des dizaines de photos signées pour les habitants de Morganville. Il n'y a pas de paysans analphabètes ici. Ce sont de bons agriculteurs intelligents, enchantés par Morganville, profondément reconnaissants, infiniment et gentiment curieux.

Après les chants des écoliers, les discours du maire et du curé, et la présentation officielle à moi, en tant que représentant de Morganville, de dizaines de lettres, photos et autres témoignages de la gratitude de Fèves, je suis parti avec le maire radieux et le maître d'école pour une conversation calme dans la cuisine de la maison humide et non chauffée du maire. Là, j'ai posé la question qui m'avait perturbé tout au long des touchantes cérémonies à l'école. « Pourquoi », demandai-je, « puisqu'il y a évidemment tant de gratitude et d'affection pour Morganville ici à Fèves, ne le leur avez-vous pas dit ? »

Les deux hommes restèrent silencieux un moment. J'avais peut-être été trop direct. Le maître d'école a été le premier à parler.

« Nous sommes désolés à ce sujet », a-t-il déclaré dans son (pour moi) français difficile. « Mais maintenant que nous comprenons, nous allons jouer notre rôle ».

Le maire acquiesça vigoureusement et attendit que le maître d'école continue.

« Fèves a été profondément touché depuis le début », a poursuivi le maître d'école. « C'est cependant une chose très difficile et délicate. C'est la période de Noël, vous savez, et j'avais peur que mes élèves demandent quelque chose. Nous ne devons jamais être des mendiants ici à Fèves ».

Le maître d'école leva les yeux sur le maire qui suivait chaque mot et le considérait solennellement.

« Quant à notre maire, c'est un homme distingué, mais c'est également un simple agriculteur, et c'est très difficile pour lui de trouver les mots qui conviennent. On a très peur de demander trop ... L'Amérique a déjà fait beaucoup. Nous avons lu à propos des tempêtes de poussières à Morganville, de leur passé difficile, des garçons de Morganville qui sont morts dans le Pacifique et ici en France. Ils parlent de ces choses avec une grande éloquence. Nous n'avons peut-être pas assez d'éloquence. En revanche, à partir d'aujourd'hui, cependant, nous écrirons - car, dans nos cœurs, nous avons beaucoup à dire ».

C'était de la timidité et de la fierté. En fait, je l'avais deviné avant qu'ils ne me le disent, car j'avais regardé les écoliers plus tôt dans la journée alors que ma boîte de bonbons américains était passée parmis eux. Solennellement, délicatement, chacun en avait pris juste un et avait attendu que le dernier enfant soit servi. Puis, avec le même geste sobre, ils avaient placé le bonbon dans leurs poches en lambeaux pour le manger plus tard ou le partager à la maison. Il ne devait y avoir aucune hâte inconvenante. Cela devait être fait avec grâce, car c'était précieux. C'était d'Amérique, et tout cela faisait partie d'un moment très important. Le bonbon signifiait amitié - pas la charité. Et l'amitié était une chose solennelle.

Lorsque je suis rentré à l'hôtel, je ne pouvais pas du tout dormir à cause de la considerable responsabilité que nous avions assumée avec Morganville. Eux, à Fèves ont compris les habitants de Morganville et le « Message to Feves ». Mais, comme moi, ils ne pouvaient pas vraiment dire ce qu'ils ressentaient. Cela prendra du temps et une très grande patience de la part de Morganville. Par exemple, il n'y a qu'une personne à Fèves qui écrit en anglais, mais elle craint d'être maladroite ou de dire de mauvaises choses.

Un article de journal français montrait une photo de Todd parlant à l'école. Il incluait des citations du message que Todd avait délivré des habitants de Morganville : « Nous sommes un village agricole. Nous ne sommes pas riches, mais ... nous voulons partager. ... écrivez-nous comme si nous étions cousins, nous vous écouterons ... Nous voulons que vous sachiez que nos cœurs sont émus et que nous souhaitons être vos amis ».

Saint Nicolas a ensuite distribué environ 80 kg de chocolat.


Todd parlant à l'intérieur de l'école de Fèves

L'article se réfère à Todd sous le nom de M. Thotte. Le journaliste avait demandé de faire ce changement. Le nom de Todd, prononcé avec la prononciation européenne usuelle, aurait le même son que le mot allemand « tod ». Tod signifiant la mort, était associé aux soldats allemands de Totenkopf, connus pour être particulièrement brutaux. Le journaliste voulait éviter toute confusion.

Dans une interview ultérieure, Todd ajouta quelques détails supplémentaires non inclus dans le récit plus officiel de ce qui s'était passé lors de son voyage dans le petit village situé à flanc de colline à l'ouest de la Moselle.

À l'extérieur de la petite école, il y avait beaucoup de vélos et beaucoup de gens qui m'attendaient. À l'intérieur se trouvaient les drapeaux américain et français ainsi qu'une grande pancarte « Vive Morganville ». … Le maître d'école a déclaré que Fèves penserait toujours à Morganville comme à sa propre sœur d'outre-Atlantique.

Au village, il y avait l'odeur de la terre, des chevaux et des vaches, comme chez nous.

Nous avons visité la plus grande ferme du voisinage. De la grange, il ne restait qu'un tas de vieux foin et de gravats, l'abreuvoir en pierre était brisé, la maison en eventrée. Ce qui restait de la maison était principalement le côté cuisine, avec sur les murs les casseroles et les poêles suspendues.

L'ancienne église du XIVe siècle a été construite pour servir de fort. ... Le jeune Padre suggéra une visite à la bibliothèque. Il s'est avéré que c'est une ancienne cave sous l'église où les vins de la ville étaient conservés. Les Allemands en avaient pris la plupart. Certains millésimes d'après-guerre étaient restés. Nous en avons testé plusieurs, avec des toasts à Morganville. Certaines personnes se sont cachées ici pendant la guerre. Plusieurs ont été traînées dehors et abattues devant l'église.


Face nord de l'église de Fèves partiellement restaurée

Vers la mi-décembre, Carson reçut une lettre de Todd qui était à Genève, en Suisse. Cette lettre servirait à présenter les personnes avec lesquelles le comité Morganville travaillerait.

Je viens de trouver quelque chose dans mes notes que vous devriez avoir. À savoir, les noms des personnes brillantes à Fèves avec lesquelles vous allez travailler.

En premier lieu, il y a Henri Torlotting, le maître d'école. Un jeune homme bien, très compréhensif. On peut lui parler franchement. Dites-lui que Todd n'oubliera jamais le chant de ses élèves.

Deuxièmement, Louis Holveck, le curé. Un prêtre, bien sûr, mais aucun baptiste ne doit jamais lui en vouloir. Aussi très jeune et très sage. Rappelez-lui le voyage de Todd à la « Bibliothèque » et combien j'ai adoré sa vieille et belle église.

Enfin Auguste Berne, Le Maire. Il est exactement ce que devrait être un maire français, mais ne comptez pas trop sur lui au-delà de la bonne volonté. Ici encore, vous pouvez vous référer à mes habitudes de consommation d'alcool et lui assurer que sa mirabelle est la meilleure que j'aie jamais bue. (Je me rends compte que mes commentaires font qu'il est impossible de montrer mes lettres à d'autres Kansans, mais manifestement on ne peut pas boire de l'eau en France.)

Morganville avait donc maintenant les noms des trois personnes qui étaient les partenaires de leur comité. Le maître d'école Henri Torlotting, le prêtre Louis Holveck et le maire Auguste Berne seraient aux commandes à Fèves.


(g-d) : Torlotting, Holveck et Berne