La lettre de Todd ne montre pas la longue relation qu'il entretenait avec Sonkin. Ils se sont rencontrés pendant leurs études
supérieures. Tous deux sont devenus professeurs au College of the City of New York. Ils ont passé de longues périodes ensemble
pendant les années de dépression dans le camp de migrants d'Arvin, en Californie, où ils ont fait plus de 500
enregistrements de chansons folkloriques pour la Library of Congress - Bibliothèque du Congrès - des Oklahoma « Okies » et
Arkansas « Arkies ». À NY, ils sont devenus amis avec Pete Seeger, Woodie Guthrie, Ethel Merman et d'autres membres de
l'industrie du divertissement.
Sonkin, deuxième à gauche, Todd à l'extrême droite
En 1942, le légendaire guitariste de blues Huddie William Ledbetter, surnommé « Lead Belly » - ventre de plomb - enregistra une chanson intitulée « Todd Blues » - Le blues de Todd, qui racontait à quel point lui, sa femme et Sonkin étaient tristes car Todd partait pour la California diriger un camp de migrants.
Alors que le jour de la kermesse approchait à grands pas, les activités à Morganville devinrent plus chaotiques. On fit des
trajets jusqu'à Manhattan et Concordia pour se procurer divers articles tels que des rubans et fleurs pour les décorations,
du carton pour les pancartes, une grande carte de la région de Metz pour montrer où se situait Fèves et des vêtements pour
terminer les costumes.
Le vendredi matin, Main Street fut fermée à la circulation. On accrocha les drapeaux de nombreux pays, créés à partir de
chiffons teints par les femmes du village. Il y eut un tableau d'affichage avec des informations sur Fèves. Les visiteurs
pourraient acheter des biscuits élaborés à partir des recettes familiales des colons allemands, français, suédois et
norvégiens qui s'étaient installés dans la région de Morganville.
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Un reporter du journal « The Day » - Le Jour - journal de New London, dans le Connecticut, vint à Morganville se renseigner sur ce petit village des Prairies du Kansas auquel un enfant du pays, le capitaine de baleinier Ebenezer Morgan, avait donné son nom.
Traduction : Ville de Kansas, nommée d'après le capitaine local, célébrant l'adoption d'un hameau français
Le capitaine Ebenezer Morgan, une des grandes figures de l'histoire des baleiniers de New London, est célébré dans un spectacle
historique par lequel Morganville, dans le Kansas, signale l'adoption de la communauté paysanne de Fèves, en France.
Morgan, fondateur de la ville du Kansas qui compte 200 habitants, est quasiment considéré comme une légende ici. Il partit pour
le Kansas en 1870, peu après sa retraite maritime, marqua une concession et acheta un ranch de 800 acres - 325 ha.
L'expérience du vieux capitaine de baleinier en tant qu'éleveur colle bien au sujet du spectacle, intitulé « One World or
None » - Un Monde ou Aucun. Morgan, qui, pendant toutes ses années en mer, rêvait de « fuir le monde » dans un ranch du
Far West, se rendit compte qu'il n'y arrivait pas.
Alors il rentra passer ses dernières années à l'Est. Mais quand il quitta le Kansas, il fit don de son ranch au site de Morganville.
Sa biographie indique que Morgan, comme la ville qu'il fonda, était de petite stature mais grand de cœur. Né à Boston en 1817,
le jeune orphelin s'engagea à bord d'un baleinier comme garçon de cabine à l'âge de 10 ans. À sa mort en 1890, ses biens furent
évalués à près d'un million de dollars - et le dollar de l'époque valait 100 cents, et non 40 comme aujourd'hui.
À 21 ans, il devint capitaine, et pendant ses 41 années en mer, il fit de nombreuses expéditions couronnées de succès, presque
toutes en partance de ce port.
L'ouvrage de référence d'Alexander Starbuck sur l'industrie baleinière américaine le crédite du « meilleur périple enregistré ».
Il s'agissait d'une croisière sur le baleinier le Pionnier, de 1864 à 1865, qui rapporta 1.391 tonneaux d'huile de baleine et 22.650
livres d'os de baleine, générant un profit de 114.000 $ pour un investissement de 36.000 $. Le Pionnier, d'ailleurs, fut le premier
baleinier à vapeur construit aux États-Unis.
En lien avec le spectacle historique qui l'honore, il convient de remarquer que Morgan fut l'un des premiers à bénéficier d'un
accord passé entre la Russie et les États-Unis de son époque. En 1867, la Russie céda l'Alaska et ses îles avoisinantes aux
États-Unis. L'année suivante, Morgan fut le premier à planter le drapeau américain sur le sol de l'Alaska, au cours d'un voyage
dont il revint avec 45.000 peaux de phoques.
Et dans ses vieux jours, quand aucun de ses deux fils ne parvint à grimper au mât dans son arrière-cour de Groton pour redresser les
drisses, Morgan leur lança un regard dégoûté, grimpa sur le poteau et attacha les cordes lui-même.
Un reporter du Topeka State Journal visita lui aussi Morganville pour faire un article dans son journal. Il fut apparemment écrit le jour du spectacle, car Sonkin y est mentionné comme ayant vu les répétitions, mais parut dans l'édition du vendredi. Il donne un aperçu de ce qui était prévu.
Titre de journal traduction : Morganville, (population 243) projette un grand spectacle pour la
ville française adoptée. Les trois cinquièmes du village participent.
Lorsque Morganville (243 habitants) vote pour un monde uni, il y a une ville unie derrière. Trois habitants sur cinq participeront
au spectacle historique qui aura lieu au forum municipal en plein air, vendredi à 20 heures, pour fêter l'adoption par Morganville
de la ville française de Fèves.
Pratiquement tous les autres habitants de la ville apporteront leur contribution au programme de danses carrées, de chansons et de
danses européennes, et il y aura des tours à cheval pour « dix sous » - écrit en français - au lieu de dix cents le tour. Des
biscuits préparés d'après de vieilles recettes de famille des ancêtres suisses, allemands, français et autres seront en vente.
Robert Sonkin, enseignant à l'université de NY, est à Morganville pour représenter l'organisation Operation Democracy, qui a aidé
la ville du Kansas à choisir la communauté française dont elle serait la marraine.
« J'ai vu les répétitions en costumes du spectacle jeudi soir », a-t-il déclaré vendredi, « et c'était absolument
merveilleux.
« Le spectacle raconte l'histoire entière de Morganville, avec pour but d'expliquer aux gens de Fèves la chose suivante :
‹ nous aussi avons enduré des difficultés. Nous avons connu la faim et avons souffert pour construire ce pays d'abondance. Mais
nous nous en sommes sortis et il y a de l'espoir pour vous dans notre histoire ›.
« Mlle Velma Carson, membre du comité UNESCO de Morganville, a écrit le spectacle. Les pionniers arriveront sur scène dans un
chariot bâché construit par M. Herman Merten. Mme Velma Young, enseignante, est la directrice du programme et Mme Agnes Anderson,
femme au foyer, est la narratrice.
« Aux difficultés premières des pionniers succèdent les arts de la paix. Une danse grecque représente l'influence de la culture
classique sur la vie locale. Ensuite, le monde extérieur commence à s'infiltrer. Les fils de Morganville partent à la guerre à
l'étranger. [Nous voyons une femme qui représente] le monde ... faisant tourner un immense globe à la recherche de ses
enfants perdus. Deux anges sont représentés ensemble, un américain et l'autre français, le premier avec une récolte abondante, et
le second touché par la misère. La femme américaine demande : ‹ Comment pouvons-nous être contents, en sachant qu'il y a
des paniers vides dans d'autres parties du monde ? ›
« Enfin, l'ensemble de la troupe, en costume, chante une chanson, ‹ One World ›, et le révérend H.E. Millikan, pasteur
méthodiste et chapelain pendant la seconde guerre mondiale, fera une courte prière en français ».
Une soirée glace suivra le spectacle, organisée par Mme Alice Berggen Oetinger. On attendra des télégrammes de félicitations de M.
Henri Bonnet, ambassadeur de France à Washington D.C., de M. V. Iala [sic - J.J. Viala], consul de France à Chicago, et du
président Milton Eisenhower de Kansas State College.
M. Sonkin enregistrera l'intégralité du programme pour une retransmission en France par la station WRUL de « World Radio
University » à New York. Il a dit que Morganville était la première ville du Kansas, et la plus petite du pays, qui cherche à
adopter une ville française par le biais de son organisation. Le comté de Neosho avait adopté Zevenbergen aux Pays-Bas. Le nombre
de communautés américaines qui ont souhaité adopter des villes du monde a été si élevé, que l'organisation à but non lucratif
Operation Democracy a été créée comme organe de supervision.