Agnes Huff devint rédactrice et éditrice du Morganville Tribune après la mort de son mari. Elle aimait décrire le journal de quatre pages comme un « petit journal vivant dans une petite ville vivante ». Comme la plupart des journaux des petites villes, c'était un hebdomadaire qui paraissait le jeudi. L'édition du 19 août 1948 donna plus de détails sur l'événement à venir.
Kermesse de Rue Pour un Monde Uni
Une kermesse de rue pour un monde uni aura lieu à Morganville vendredi 27 août au soir. Le travail déployé pour présenter cet événement est la préoccupation principale d'environ 150 personnes à Morganville et dans les environs.
Le point culminant de la soirée sera un spectacle dans lequel environ 150 personnes se produiront. Ce sera présenté à huit
heures dans l'amphithéâtre. L'histoire des jours pionniers et de l'histoire locale de la communauté sera racontée dans la
performance. Une partie de l'histoire du monde et de l'histoire nationale sera introduite dans le spectacle par les descendants
des personnes venues de pays étrangers qui ont formé notre communauté. Le script lu sur le haut-parleur a été écrit par Velma
Carson.
Certains d'entre eux prendront part au programme dans la langue du pays qu'ils représenteront. Ils raconteront notre histoire,
depuis l'époque des chariots bâchés et des amérindiens jusqu'à aujourd’hui par les 4-H [mouvement de jeunesse], les scouts
et les autres. Il y aura une vente de biscuits élaborés avec les célèbres recettes transmises par nos aïeuls étrangers.
Un orchestre constitué pour l'occasion par une ancienne fanfare et d'anciens orchestres assurera la partie musicale, sous la
direction de Velma Hahn Young.
Agnes Huff, rédactrice du Morganville Tribune
Il y aura beaucoup d'autres attractions intéressantes, qui vous apporteront leur lot de surprises. La rue principale sera fermée
à la circulation pour la soirée. Une délégation de l'UNESCO viendra de Manhattan [Kansas] assister aux activités de la
soirée et prendre des photos.
Après le spectacle historique, il y aura un bal de danses d'antan avec l'orchestre d'Orb Pierson. Cette soirée est sponsorisée par
le comité U.N.E.S.C.O.
Venez ici rejoindre vos amis. Vous verrez beaucoup d'entre eux déguisés pour le spectacle historique.
Carson dit un jour, à propos du manuscrit de la pièce, qu' « il n'était censé être mis en musique qu'une fois, entre amis ».
Du fait de cette optique probablement, et du fait qu'il y eut un laps de temps très court pour assembler tous les éléments du
spectacle, on ne consigna jamais le détail de ce qui allait se passer sur scène. Ce que l'on sait a été assemblé par le biais
du manuscrit du narrateur, des compte-rendus des journaux et des souvenirs de gens qui étaient jeunes à l'époque. Même
le nom de la pièce est incertain. On a parfois appelé le programme « One World » - Un Seul Monde, mais le script de Carson
est intitulé « Message to Fèves » - Message à Fèves.
Carson possédait un carnet marron, qui ne donne qu'un aperçu succinct, car il ne semble être qu'une liste de tâches à faire.
L'extrait suivant est tiré de ce carnet :
Sonorisation - Loren Law
Tours à cheval
Vance, maître d'équitation (a besoin d'un pantalon)
Délimitation de la rue - Charlemagne a besoin
d'un panache de plumes
Nettoyage du terrain Patrouille des scouts
Décoration vendredi matin
Star Spangled Banner - Lyle Bloom
Extraits du carnet de tâches à faire de Carson. Elle déclara plus tard, à propos du cheval, « l'attraction la plus importante était un ancien cheval de cavalerie que les enfants avaient monté et qui allait bientôt faire son dernier voyage. On lui mit une banderole et le vieux panache victorien que maman portait sur son chapeau, on lui donna le seul nom français auquel on pensa, Charlemagne, et on l'emmena faire des tours de la place, avec de petits enfants sur son dos pour leur première montée à cheval. Comme s'il comprenait l'importance de notre action internationale, Charlemagne trotta de façon aussi française que possible. À 10 cents la balade, sa contribution atteignit 8 dollars ».
Le 20 août, Todd envoya une lettre à Carson, qui répondait à son inquiétude quant à la possibilité que le village adopté tenterait peut-être de profiter d'eux. La lettre était aussi porteuse de nouvelles excitantes.
Telephone Murray Hill 6-4986
OPERATION DEMOCRACY, INC.
369 Lexington Avenue New York 17, N. Y.
20 août 1948
Mme Velma Carson
Morganville, Kansas
Chère Mme Carson :
Ravi de recevoir votre télégramme ce matin, j'envoie diligemment M. Sonkin vers la contrée sauvage de Morganville. Pour information, M. Sonkin est un jeune professeur de College of the City of New York et travaille avec nous en lien avec les programmes de The Voice of America et du World Wide Broadcasting - [à peu près l'équivalent de Radio France Internationale]. Il arrivera avec un enregistreur et le matériel qu'il va collecter sera assemblé ici et envoyé par voie aérienne en France.
Robert Sonkin
Les habitants de Fèves seront informés, pour qu'ils puissent entendre exactement ce qui s'est passé à Morganville. M. Sonkin et
moi-même avons dévalisé les bureaux new-yorkais de la SNCF et de l'office du tourisme français hier, et il apporte avec lui plein
de belles affiches, des cartes, des brochures, etc, qui devraient apporter de la couleur à votre spectacle. Il a une très bonne
connaissance de la France, parle très bien la langue et a servi dans la région de Metz pendant la guerre, donc si vous voulez le
solliciter pour discussions, il sera à votre service.
Par ailleurs, j'ai envoyé l'autre jour un mot sur Morganville à un ami qui travaille pour le magazine LIFE, et si ce n'est pas
trop tard pour eux, il est possible qu'un photographe de LIFE passe chez vous.
Nous sommes très enthousiastes de ce que vous faites, pour plusieurs raisons, surtout, je pense, grâce à vos formidables lettres.
Je pense que Morganville peut revendiquer le titre de plus petite communauté du pays à faire un programme d'adoption. Comme vous
vous en rendez compte, sans aucun doute, c'est tout simplement le genre de chose qui plaît au public américain et à nos officiels
gouvernementaux, dont les efforts pour la paix sont rarement reçus avec autant de chaleur et d'enthousiasme.
Concernant votre petite ville de Fèves, je crains que vous ne deviez prendre votre mal en patience pour avoir des informations
complètes à son sujet. C'est un endroit minuscule, qui n'est même pas mentionné sur la plupart des cartes. C'est aussi dans une
zone qui est plutôt difficile d'accès. Cependant, une fois que tout sera mis en place, je suis sûr que vous n'aurez pas fini de
vous réjouir.
Votre question, ou la question qu'ont en tête certains de vos amis, est très bonne. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous
n'avons jamais eu d'expérience malheureuse pour l'instant, où on aurait pensé que les Français se servaient de nous seulement pour
leur bénéfice personnel. Une fois qu'ils ont compris les objectifs simples de ces programmes, ils s'y consacrent sans réserve. Des
fois, bien sûr, les cadeaux mettent du temps à arriver et il est possible que les destinataires soient un peu sur la réserve,
jusqu'à ce que quelque chose de concret arrive.
Ces gens ont traversé des périodes de désespoir et de pure terreur, que peu d'Américains peuvent mesurer, et ils ont parfois
tendance à nourrir de trop grands espoirs. En conséquence, votre premier contact avec eux devra être très restreint. Parlez-leur
de votre ville, et insistez sur le fait que vous aussi avez des problèmes. Vous recevrez des preuves documentées de la réussite
de votre programme, dès que vous commencerez à avoir des nouvelles de citoyens de Fèves, et recevrez les inévitables photos de
la distribution et de l'utilisation de vos cadeaux.
Nous aimerions tous, ici, au bureau, partir avec M. Sonkin à Morganville, et attendons avec beaucoup d'enthousiasme son
compte-rendu des événements. Bonne chance à vous tous, et, s'il vous plaît, télégraphiez-nous, téléphonez-nous ou écrivez-nous,
si nous pouvons vous apporter quelque aide supplémentaire.
Bien chaleureusement,
Charles L. Todd
Secrétaire de direction